Jour 291 | Le travail rend libre

Arbeit macht frei

Nous avons marché là où se sont produites les pires atrocités de l'humanité lors de notre visite du mémorial du camp de concentration de Dachau. Il s'agit du premier camp de concentration mis en place par le régime nazi, qui a servi de modèle au développement de centaines d'autres. La ville de Dachau est située à quelques kilomètres de Munich, identifiée elle-même comme le berceau du nazisme. La visite du camp de concentration est gratuite, mais on a payé 3 € pour un audio-guide en français qui en valait vraiment la peine.

L'audio-guide était très bien structuré, de sorte que nous étions en mesure d'avoir toutes les informations générales ou approfondies par rapport aux bâtiments et monuments devant nous. On avait même la possibilité d'écouter des témoignages d'anciens détenus qui racontaient leur histoire dans leur langue d'origine. Cette journée là, il faisait très froid et gris dehors, ce qui rajoutait probablement à la lourdeur du lieu. La majorité de la visite se fait à l'extérieur, à l'exception de l'exposition permanente située dans le bâtiment de l'intendance. 

Tous les Allemands à qui j'ai mentionné que j'allais visité cet endroit m'avaient prévenue que ceci serait choquant. Rien n'a été caché, c'est livré en toute transparence, sans censure. La visite n'est d'ailleurs pas autorisée pour les moins de 14 ans. Avec raison. J'ai trouvé cette visite vraiment pertinente dans mon intérêt à mieux comprendre l'histoire du pays. Je demeure encore surprise que de telles horreurs perpétrées au temps d'Hitler soient si récentes. Les prisonniers de Dachau n'ont été délivrés que le 29 avril 1945 par les soldats américains. Journée dont plusieurs anciens détenus qualifiaient de leur "deuxième anniversaire", à quel point c'était une renaissance.

Arbeit macht frei. Le travail rend libre. Cette inscription sur la porte d'entrée de plusieurs camps de concentration, qui laissait croire aux prisonniers qu'ils venaient ici pour travailler et éventuellement réintégrer la société. Ça donne froid dans le dos, d'imaginer tous les gens qui ont traversé cette grille sans savoir le sort qui leur était réservé. 

Le Jourhaus, c'était l'entrée et la sortie des prisonniers et là où s'affairait le commandement du camp pour gérer les prisonniers en leur attribuant des tâches, ordonnant les demandes de punitions et contrôlant les baraques.

En traversant le bâtiment du Jourhaus et cette porte malheureusement célèbre, on accède à une immense place vide : la place d'appel, là où se faisait le décompte des détenus, chaque jour. L'appel durait bien souvent plus d'une heure, et les détenus devaient se tenir complètement immobiles. La procédure se répétait le soir après la journée de travail. Si le nombre de détenus ne correspondait pas à ce qui était attendu, tous les détenus devaient rester immobile jusqu'à ce que la raison soit trouvée. Les détenus étant souvent malades et affaiblis par de terribles conditions de travail, certains s'effondraient d'épuisement et aucun codétenu n'était autorisé à leur venir en aide, sous peine de punition. Aujourd'hui, la place d'appel est un grand espace vide sur lequel ont été érigées les différentes parties du monument commémoratif international.

Puisse l'exemple de ceux qui furent exterminés ici de 1933 à 1945 dans la lutte contre le nazisme, faire que les vivants s'unissent pour défendre la paix, la liberté et le respect de la personne humaine. Telle est l'inscription sur cette composante du monument commémoratif international érigé en plein milieu de ce qui était autrefois la place d'appel.

Cette autre partie du monument commémoratif international est un puissant symbole de désespoir et de souffrance. Cette sculpture, qui n'a rien de doux, représente des êtres humains complètement désarticulés par les décharges électriques, pris dans une clôture de barbelé.

Toujours sur la place d'appel se trouve un bloc contenant les cendres d'un détenu inconnu, avec la mention Nie wieder. Plus jamais.

L'exposition permanente relate la montée du parti national socialiste des travailleurs allemands, jusqu'à la libération de 1945. L'exposition est très longue, avec beaucoup de détails appuyés par des objets, des photographies ou des témoignages. On peut y lire toute sorte d'atrocité sur des expérimentations médicales réalisées sur des détenus par des médecins complètement fous. Je me suis demandée, à ce moment, si certaines de ces expériences ont mené à des découvertes significatives pour la science d'aujourd'hui. Après avoir lu à ce sujet en dehors de la visite, j'ai compris que les conditions inhumaines dans lesquelles les médecins allemands ont mené ces expériences souvent mortelles sur des détenus sans leur autorisation font que la science moderne rejette, pour une grande majorité, l'utilisation de ces résultats.

Un exemple d'affichage utilisé pour la propagande nazie : notre dernier espoir, Hitler. J'ai remarqué que le graphisme utilisé dans la propagande était vraiment de grande qualité, ce qui en fait presque des œuvres d'art aujourd'hui.

Ici, on peut y voir le système de classification des détenus : Les opposants politiques, les invalides, ceux considérés comme racialement inférieurs, les témoins de Jéhovah, les homosexuels et les asociaux. Tous étaient marqués par un triangle de couleur cousu sur leur uniforme. Cette catégorisation ajoutait au fait que les détenus perdaient leur identité en entrant au camp, pour ne devenir qu'un numéro et un symbole.

Après l'exposition permanente, on traverse la place d'appel pour se rendre aux baraques, aux lieux de recueillement et au crématorium. Alors que j'avais lu que la visite prenait en moyenne trois heures, ça fait déjà beaucoup de temps que nous sommes là et il reste encore beaucoup à apprendre. Les lieux de recueillement qui ont été érigés au fond du terrain après la libération se composent, entre autres, de la chapelle catholique de l'Agonie du Christ, de l'Église protestante de la réconciliation, d'un mémorial juif et d'une petite chapelle orthodoxe russe. Celle qui m'a le plus marquée est l'Église protestante de la réconciliation. C'est comme si elle faisait partie du chemin : on y entre, on la traverse et on sort de l'autre côté. Sa conception détonne du reste, il n'y a aucun angle droit, que des courbes ou des inclinaisons qu'on pourrait croire arbitraires. C'est un immense contraste avec la rigidité et la symétrie de l'ancien camp de concentration dans lequel elle se trouve. Devant la chapelle catholique se trouve la cloche du souvenir, qui sonne à tous les jours à 15h. Nous étions juste à côté à cette heure précise.

La pièce d'habitation d'une baraque, comprenant des tables, des tabourets et des casiers trop peu nombreux pour la quantité de prisonniers, adjacentes aux dortoirs, également trop peu nombreux.

Les baraques sont les maisons où étaient abrités (entassés) les prisonniers. Au départ conçues pour accueillir 200 prisonniers, le nombre de ceux-ci s'élevaient à 2000 par baraque à la fin. Aujourd'hui, il n'en reste que deux, qui ont été reconstituées, et toutes les autres ne sont visibles que par des fondations qui ont été coulées quelques années après exactement là où elles se trouvaient. En visitant la baraque reconstituée, on peut entendre le témoignage d'un détenu qui décrivait la précision avec laquelle les lits devaient être faits. Les oreillers de paille devaient être pliées d'une certaine façon, même chose pour le matelas et les draps. Le lit de chacun des détenus devait être parfaitement aligné avec ceux des autres détenus, sans quoi tout le monde serait pénalisé. Il ne devait y avoir aucune poussière ni aucune marque au sol. La propreté immaculée était exigée. Les erreurs les plus infimes étaient sévèrement punies. Un tas de consignes pointilleuses, pour satisfaire le délire d'un seul homme...

La première baraque, fidèlement reconstituée pour les besoins du mémorial. Il n'y avait à l'intérieur qu'une douzaine de toilettes, toutes l'une à côté de l'autre, sans séparation. On peut facilement imaginer à quel point ce n'est pas suffisant pour 2000 détenus.

Les baraques, au nombre de 32, étaient numérotées par de grosses pierres de ciment qui sont toujours là. 

La baraque X fût construite en 1942 pour augmenter la capacité de l'unique four crématoire. Avec ses quatre fours, des chambres de désinfection pour les vêtements, des salles communes, des chambres mortuaires ainsi qu'une chambre à gaz camouflée en bains-douches, la baraque X avait visiblement été conçue pour l'extermination massive des détenus. 

En entrant dans la baraque X, on se retrouve de façon précipitée et sans avertissement dans la pièce mortuaire où s'entassaient les corps des détenus avant que ceux-ci ne soient apportés dans la pièce suivante, les fours crématoires. De l'autre côté, on travers une toute petite pièce, avec le plafond anormalement bas, sans fenêtre, avec des drains au sol et des jets au plafond, avant de réaliser qu'il s'agit de la chambre à gaz camouflée en bains-douches (Brausebad).

Près des fours crématoires se tient la statue du prisonnier inconnu, qui devait ressembler à pas mal tous les détenus de Dachau. Maigre, malade, vêtu de son uniforme. Den toten zur Ehre den lebenden zur Mahnung. Autrement dit, honorer les morts, rappeler aux vivants.

À la toute fin de la visite, on se demande ce que pouvaient bien penser les civils qui demeuraient dans le voisinage de la ville de Dachau. Il faut savoir que les médias étaient totalement biaisés et que les informations transmises à propos devaient rendre une image positive de ce camp de travail. Un sondage a été effectué après la libération de 1945 auprès de la population et la plupart se doutaient que quelque chose ne tournait pas rond entre ces murs. Aucun d'entre eux toutefois n'avait la possibilité de faire quoi que ce soit pour l'en empêcher. Ceux qui résistaient ou n'adhéraient pas au régime nazi avaient plus de chance de se retrouver à l'intérieur qu'autre chose.

Ce genre de visite historique me trouble. Cette époque a changé le caractère et la personnalité du pays et des gens qui l'habitent. Mais pas seulement. Elle fait partie de l'histoire de la planète entière. Seulement au camp de concentration de Dachau, 41 500 personnes ont été tuées ou sont mortes d'épuisement ou de maladies entre les années 1939 et 1945. 

Et dire que le vent aurait pu tourner, le 8 novembre 1939. Cette journée là, les principaux dirigeants nazis, incluant Hitler, se réunissaient à la brasserie Bürgerbräukeller à Munich. Un menuisier allemand du nom de Georg Elser y avait soigneusement dissimulé une bombe artisanale dans l'un des piliers de la salle, qui devait se déclencher lors du discours du Führer. Or, la météo n'étant pas clémente ce jour là, l'avion qui devait le ramener à Berlin ne pouvait pas décoller, ce qui l'a obligé à prendre le train. Il a donc quitté le rassemblement plus tôt, soit exactement 13 minutes avant la détonation. Georg Esler fût arrêté alors qu'il tentait de s'enfuir par la Suisse, puis amené au camp de concentration de Dachau, où il fût assassiné le 9 avril 1945, seulement 20 jours avant la libération. Maman et moi sommes allés sur le site de cette brasserie qui n'existe plus aujourd'hui. Aujourd'hui s'y dresse le Gasteig, un des plus grands centre culturel d'Europe. Une plaque commémorative est incrustée dans le sol, à l'endroit exact où se trouvait le fameux pilier qui devait changer le cours de l'histoire et prévenir la deuxième guerre mondiale.

An dieser Stelle, im ehemaligen Bürgerbräukeller, versuchte der Schreiner Johann Georg Elser am 8. November 1939 ein Attentat auf Adolf Hitler. Er wollte damit dem Terror-Regime der Nationalsozialisten ein Ende setzen. Das Vorhaben scheiterte. Johann Georg Elser wurde nach 5 1/2 Jahren Haft am 9. April 1945 im Konzentrationslager Dachau ermordet.

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