Jour 441 | Sept tours que je veux voir

Sieben Türme will ich sehen

Alors que Christian sera occupé par le travail toute la journée, je quitte notre appartement vers 11h. On se rejoindra plus tard, vers la fin de la journée, pour se déplacer à Rostock. Mes vieux souliers troués qui pognent la pluie m'amènent à la Cathédrale de Lübeck, au sud de l'île. L'une de ses tours était curieusement habillée d'une immense boucle rouge, comme si elle allait être offerte en cadeau. J'y ai trouvé à l'intérieur une exposition bien ficelée sur les rénovations prévues qui s'y dérouleront durant les huit prochaines années, au coût de 23 millions d'euros. Il s'agit de l'exposition la plus instructive que j'ai lue à ce jour au sujet de toutes ces questions que j'avais sur l'univers des églises, qui sont tellement nombreuses ici.

Ce bâtiment immense n'a pas échappé aux ravages du temps, ni à deux guerres mondiales. La cathédrale de Lübeck a été construite en 1173. Voilà l'origine de la grosse boucle rouge. C'est son 850e anniversaire cette année et elle s'offre des grosses rénovations. En 1942, lors des bombardements, la cathédrale, avec St. Marien et St. Petri, que j'ai aussi visitées, ont été lourdement endommagées par les explosifs. Le toit a été détruit par le feu et la voûte s'est effondrée, laissant seulement visibles les grosses poutres de brique. 

Cette cathédrale, comme bien d'autre dans le pays, en a vu beaucoup. La fin de la construction de Notre-Dame de Paris en 1345, ainsi que son incendie en 2019, la venue de la peste en Europe, qui a fauché 25 millions de vie en 1347, l'érection de la tour de Pise en 1372, la toute première impression de la bible en 1454 par Gutenberg, l'arrivée de Christophe Colomb en Amérique en 1492, le dernier coup de pinceau de Michelangelo sur la Chapelle Sixtine en 1512, les deux guerres mondiales, l'attentat sur le World Trade Center en 2001 et l'invasion de l'Ukraine par la Russie en 2022. Quand on le voit de cette façon, c'est vieux en maudit 850 ans ! Ce bâtiment dans lequel je me trouve a vu des siècles d'histoire. 

St. Marien

La veille, nous avions visité l'église St. Marien, située au centre de la vieille ville. D'abord, avant d'entrer, on a croisé un p'tit démon, une sculpture sur le côté de l'église dont l'histoire nous a fait bien rire. Au milieu du 13e siècle, le démon a voulu arrêter la construction de l'église. Les travailleurs, effrayés de lui dire la vérité, lui ont fait croire qu'ils étaient en train de construire un magnifique bar à vin. Le démon, naïvement excité par ce qu'il venait d'apprendre, a commencé à prêter main forte. Le démon réalisa ensuite la tromperie et, dans toute sa rage, entreprit de détruire le bâtiment avec une énorme poutre de pierre. Un travailleur à l'esprit rapide lui a vite promis de construire un bar à vin dans le voisinage. C'est ainsi que le démon a laissé tombé sa poutre de pierre juste à côté de l'église, sur laquelle son histoire est maintenant immortalisée par une sculpture de bronze placée là en 1999. Les gens de Lübeck ont également tenu leur promesse : la taverne Ratskeller fût construite à quelques pas de l'église. 

Nous entrons dans l'église, un prix d'entrée de 2 € est indiqué, sauf si nous voulons allumer un lampion ou prier. J'en allume toujours de toute façon, donc nous avons pu passer free en le mentionnant. Pourtant tentés de regarder ces beaux plafonds peints et ses vitraux immensément hauts, nous avons trouvé la chose la plus étonnante... au niveau du sol. En 1942, les forces alliées ont bombardé la ville et les cloches de l'église, tombées d'une hauteur de 400 pieds, se sont écrasées au sol et n'ont jamais été réparées ni déplacées. Elles sont partiellement fondues dans le sol, exactement dans l'état où elles ont terminé leur chute, en 1942. Comme c'est impressionnant à voir. Il y a également à l'intérieur de l'église une immense horloge astronomique de deux étages, réplique de celle construite au 16e siècle qui fut détruite lors de la seconde guerre. La dernière date indiquée sur son calendrier indique 2080. Pourquoi ? 

La massive église St. Marien.

Le démon et moi, sur sa poutre de pierre avec laquelle il a failli détruire l'église.

Plafond du couloir de l'église St. Marien au bout duquel se trouvent les cloches.

L'horloge astronomique construite par l'horloger Paul Behrens, qui a clamé de tout son vivant qu'il s'agissait de sa plus belle œuvre. 


Les cloches de St. Marien, demeurées dans l'état où elles se sont effondrées en 1942 après les bombardements.

L'histoire des cloches, racontée humblement sur un petit bout de papier à côté.

Christian et moi dans la pelouse.

St. Petri

De tels monuments qui ont traversé le temps méritent d'être préservés, même si leur vocation peut changer. Je fais référence ici à l'église St. Petri, quelques mètres plus loin, qui est devenue maintenant un lieu versatile d'exposition, de concerts ou de célébrations, dans la vie comme dans le deuil, une place pour admirer et écouter, pour discuter ou demeurer en silence. Seulement quelques vestiges religieux s'y trouvent toujours, mais l'âme respire dans tout ce vide et ce blanc. En 1988, c'est le pasteur de l'église qui est venu avec cette idée d'une open minded church. Merci pour ce progrès.

La magnifique salle lumineuse et maintenant multifonctionnelle de l'église St. Petri.

Lübecker Dom

Pour en revenir à la cathédrale de Lübeck. Depuis 2011, une équipe d'experts composée d'ingénieurs, d'historiens, d'architectes et même de grimpeurs professionnels ont examiné le complexe à l'aide d'équipements de pointe. Dans les dernières années, un total de 44 marqueurs de localisation ont été installés à différents endroits de l'église. Tous ces points permettent d'enregistrer régulièrement les mouvements de la construction au moyen de la technologie laser, afin de pouvoir documenter ceci sur un certain nombre d'années. 

On dénote quatre problèmes principaux qui suivent cette église depuis sa construction. D'abord, il s'agit d'un mauvais choix de localisation, sur un sol principalement composé de sable et d'argile. Ensuite, comme le même type de pierre utilisées dans la construction des églises massives et solides en France n'était pas disponible dans le nord de l'Allemagne, celles-ci ont été construites en briques, malgré une connaissance limitée dans la fabrication et l'assemblage des briques. L'architecture des bâtiments du nord du pays est si différente de ce que j'ai vu ailleurs. C'est la brique qui change tout. J'avais adoré cette particularité l'hiver dernier quand j'ai visité Bremen, Hamburg et Schwerin. Je comprends maintenant, pourquoi de la brique ici et pas ailleurs. C'était le matériau le plus accessible. Troisième problème, l'incompatibilité des matériaux. Dans l'ensemble, seulement 11 % du bâtiment est aujourd'hui composé des matériaux utilisés dans la construction initiale de 1173. Et finalement, les réparations au fil du temps ont été réalisées en surface, un peu comme le fait d'ajouter une nouvelle tapisserie sur de la vieille tapisserie, ce qui n'a pas corrigé la source du problème.

Les deux clochers de la Cathédrale de Lübeck, dont l'un est habillé d'une grande boucle rouge pour son 850e anniversaire.

La cours intérieure de la cathédrale.

Annexe de l'église dans la cours intérieure.

Maintenant, pourquoi 23 millions d'euros pour réparer cette cathédrale ? La restauration des bâtiments médiévaux n'est pas simple car elle ne répond pas à un processus standardisé comme les nouveaux bâtiments. Beaucoup de recherches sont nécessaires afin d'adapter le travail à la localisation, aux dommages et à leurs causes, ainsi qu'à la préservation du patrimoine.

Et là, l'exposition a répondu à la question que tout le monde se pose : L'Église ne peut-elle pas payer elle-même pour les rénovations de ses églises ? Elle a certainement bien assez d'argent ! Coupable. Je me suis aussi posée cette question, et combien de fois en constatant que notre cathédrale à Rimouski est affublée depuis des années dans son grand filet vert sans que rien ne se passe. Bon, je ne dis pas que les explications suivantes expliquent à 100 % ce que l'Église fait de son argent, parce qu'il doit y avoir un maudit gros trou inexplicable d'argent gaspillé, de corruption et de choses louches qui se passent dans ce monde religieux depuis des siècles. Comme toute bonne entreprise, ou même tout bon ménage, l'Église a des revenus et des dépenses. Et le budget annuel de l'ensemble des églises protestantes de l'Allemagne s'élèvent à 12,3 milliards d'euros.

Revenus :

  • 43 % : Taxes perçues. L'Église perçoit la taxe auprès de la partie de la population qui s'identifie à une religion. Lors de mon enregistrement comme résidente à Düsseldorf, j'avais d'ailleurs coché que je ne m'identifiais à aucun groupe religieux. Autrement, on m'aurait facturé la Kirchensteuer
  • 26 % : Levées de fonds ou différentes subventions ponctuelles reliées à des projets spéciaux.
  • 9 % : Frais payés par les utilisateurs pour l'éducation religieuse des enfants, ou encore pour une place dans un cimetière lors d'un décès.
  • 7 % : Locations de sous-sol d'église pour faire des soirées de danse en ligne et des soupers spaghetti et intérêts créditeurs sur des placements.
  • 5 % : Vente d'actifs, comme des œuvres d'art ou du mobilier.
  • 5 % : Divers.
  • 3 % : Dons de la population, comme quand on fait brûler un lampion ou qu'on laisse un euro dans une tirelire en sortant de l'église.
  • 2 % : Subventions gouvernementales. 
Dépenses : 
  • 64 % : Coût des services, comme les salaires, l'opération des garderies et des écoles pour l'éducation religieuse des enfants, l'aide humanitaire, les événements, l'organisation des cérémonies comme les mariages et la communion, etc. 
  • 10 % : Maintenance courante des bâtiments et frais fixes comme l'électricité, le chauffage, l'entretien ménager.
  • 9 % : Dépenses administratives comme le site web qui n'a jamais évolué depuis l'an 1173, les flyers, les posters, etc.
  • 7 % : Administration des finances et frais de gestion des placements. 
  • 4 % : Pensions et différents régimes de retraite.
  • 3 % : Maintenance des cimetières.
  • 2 % : Divers.
  • 1 % : Administration de la Kirchensteuer.  
En gros, ce sont des informations auxquelles je n'ai jamais eu accès jusqu'à maintenant. Je pense encore que l'église ne fait rien et que ça prend juste un curé pour lire quelques passages de la bible lors des messes du dimanche. L'Église est une grosse machine dont je n'ai jamais vraiment compris concrètement la pertinence, mais ce n'est pas seulement des beaux bâtiments. Je n'ai pas assez de connaissances sur l'impact qu'elle a aujourd'hui, car elle ne me touche pas. Zéro pentoute. Malgré toutes ces explications bien claires présentées dans cette expo, je vais quand même toujours me demander si ce système ne devrait pas, comme toute entreprise, mourir ou s'adapter en fonction des nouvelles réalités sociales présentes dans notre monde d'aujourd'hui. 

Puisque j'ai bien aimé l'exposition et sa façon de transmettre les raisons de son importante campagne de financement, j'ai été ravie de contribuer d'un mini don de 5 € pour la campagne Sieben Türme will ich sehen. Cette grande levée de fonds auprès de la population, qui dépasse les frontières de Lübeck et de la région de Schleswig-Holstein, existe depuis 2011 pour préserver la vieille ville historique et ses sept clochers, sans lesquels la ville n'aurait pas son statut de de patrimoine mondial de l'UNESCO détenu depuis 1987.

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