Jour 528 | La mine de charbon de Zollverein

Das Zeche und Kokerei Zollverein

J'étais dans la ville de Essen aujourd'hui pour une raison : j'ai une date ce soir qui était prévue depuis des siècles. C'est rare que je prévois des dates des siècles d'avance, car je perds généralement intérêt envers la personne après trois jours. Mais là, Christopher et moi allons voir un spectacle, donc dans le but d'avoir des billets disponibles, il fallait bien planifier le moindrement. 

J'ai décidé de faire d'une pierre deux (trois) coups avec ma virée à Essen en la combinant avec la visite de la mine de charbon de Zollverein et du Ruhr Museum. La région de Ruhrgebiet comprend, entre autres, les villes de Essen, Bochum, Dortmund, Oberhausen, Duisburg et Mülheim. On dit de cette région qu'elle est moins éduquée, plus pauvre et plus sale. Düsseldorf n'en fait pas partie. Et pour distinguer Düsseldorf-the-queen, qu'il ne faudrait surtout pas associer à de tels qualificatifs, on dit qu'elle serait la Schreibtisch des Ruhrgebiets (Schreibtisch, ça veut dire la table de travail, en opposition à l'image plus péjorative qu'on a de ceux qui travaillent dans les mines). Scusez-pardon, Düsseldorf ne se prend pas pour de la merde, dis-donc. 

Une partie de l'histoire industrielle et économique allemande s'est écrite à partir de Zollverein. En 1847, l'entrepreneur Franz Haniel fit creuser un premier puits dans le nord de la ville de Essen. Les réserves de charbon dans la ville étaient si importantes que 13 000 tonnes de charbon furent extraites dans la première année d'exploitation, pour atteindre le million 40 ans plus tard. Cette mine de charbon, opérée entre 1851 et 1986 dont le puits principal est assez grandiose est aussi surnommée la Eiffelturm des Ruhrgebiets (Tour Eiffel de la Ruhr). Fait surprenant, jamais le complexe n'a été endommagé pendant la guerre et tout le monde ignore pourquoi. 

Pour 12 €, j'ai fait la visite guidée à l'intérieur des installations avec un guide bientôt septuagénaire du nom de Hans. Il travaillait là à l'époque comme mineur quand il avait 15 ans. J'ai eu de la chance de tomber sur ce guide qui avait vraiment vécu ce que c'était que de faire ce genre de travail. Zollverein s'étend sur quelques kilomètres et engageait des mineurs, jeunes et moins jeunes, qui faisaient un travail hyper exigeant dans de très mauvaises conditions. Toutefois, leurs conditions n'étaient pas aussi extrêmes et invivables que celles d'une autre portion de travailleurs qui ont rejoint les opérations durant la guerre. Ces 2000 esclaves, appelés Untermenschen (sous-hommes) décédaient régulièrement et étaient enterrés de façon aléatoire sur le complexe sans aucune considération. 

Mais qui a décidé d'amener ces gens ici ? Franz Haniel ? Ai-je demandé à Hans. Il m'a dit qu'à l'époque du national-socialisme, la solution au manque de main d'œuvre causé par l'envoi des hommes à la guerre était de faire travailler les prisonniers, évidemment. Les entrepreneurs fortunés et influents à la tête de ces grandes entreprises ne pouvaient-ils rien dire pour ne pas participer à ces atrocités au sein de leurs organisations ? Non, en fait ils se seraient aussi rapidement retrouvés de l'autre côté sous cette dictature. L'entrepreneur Oscar Schindler (dont l'action est illustrée dans le film La liste de Schindler) est d'ailleurs l'un de ceux qui a fait du mieux qu'il pouvait, dans les mêmes circonstances, pour limiter les dommages. 

La construction de cette mine de charbon dont les activités ont toutefois entièrement cessé aujourd'hui aura des répercussions pour l'éternité. En dessous de l'espèce de puits se trouvent des tunnels à plus de 1000 m sous terre. À cette profondeur, l'eau est très empoisonnée et il ne faudrait surtout pas qu'elle entre en contact avec l'approvisionnement en eau de la ville, qui est beaucoup plus près de la surface. Conséquemment, une fois de temps en temps, cette eau doit être pompée, évacuée et disposée comme un déchet toxique, sans quoi les conséquences seraient désastreuses. 

À chaque fin de journée, les travailleurs devaient remettre leur médaillon sur ce tableau. Il était donc possible de remarquer rapidement si une personne demeurait toujours sous terre au moment de la fin des opérations. J'ai acheté un médaillon pour le fun, le numéro 8259.
L'impressionnante structure du puits principal de Zollverein.

Vieilles machines de contrôle.

La statue de Barbara, la patronne des mineurs et autres professions souterraines.

Résidus de fonctionnement.

Aujourd'hui, on peut se déplacer sur des kilomètres de long, en hauteur et à côté d'un rail qui servait autrefois à déplacer le charbon à travers les différentes installations.

La visite était un peu courte, environ 45 minutes, et j'aurais aimé avoir accès à plus de lieux inédits sur le complexe, plutôt que de hocher la tête de fausse admiration devant des collections de divers types de charbon. Pour moi, ces petits cailloux sont tous pareils. Comme il me restait du temps avant mon concert, j'ai continué de chiller à cet endroit en me payant la visite du Ruhr Museum. Le musée était énorme, sur plusieurs étages et détaillait dans les moindres détails l'histoire de la région. Je suis passée de « Voici le fossile de la première espèce animale trouvée sur le territoire il y a 2,5 millions d'années » à « Les gens de la région de Ruhrgebiet aiment beaucoup le Fußball aujourd'hui ». 

Ce n'était pas mon musée préféré, car je ne m'identifie pas à cette région, mais pour un natif d'ici, c'est une vraie mine d'or pour connaître ses origines. À un moment, j'étais toute seule pour admirer le ciel gris au dessus du bâtiment, la pluie me pinçant le visage. J'ai quand même trouvé ça intense d'être là au beau milieu d'une ancienne mine de charbon inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO. Pourtant, c'est juste un complexe tout rouillé, mais je suis reconnaissante en tout temps d'être où je suis. Même là, sous la pluie avec ma casquette des Terrasses urbaines de Rimouski qui fait office de parapluie.

Exposition immersive sur la culture industrielle dans la région de Ruhrgebiet. J'y ai découvert d'autres endroits similaires à visiter un jour : le Landschaftpark à Duisburg et le Gasometer à Oberhausen.

Petites photos vintages représentants la multiplication des commerces dans la région avec l'essor de l'industrie.

Collection à perte de vue de roches dont je me fiche pas mal.

Station en cas d'accidents ou maladies. On peut lire sur le petit écriteau que les causes le plus nombreuses d'accident étaient la chute de roches ou de charbon. Pas de grande surprise là.

Les escaliers à l'entrée, qui séparent les différents étages et expositions dans le Ruhr Museum. L'éclairage avait quelque chose de particulier dans cette cage d'escalier, c'est comme si ils tenaient dans un vide obscur sans fond ni plafond.

Les escaliers roulants extérieurs, éclairés dans la soirée, qui me ramène au niveau 0 après ma visite.

À la fin de ma visite, je me déplace vers le centre-ville de Essen pour rejoindre Christopher, un gars d'ici. Cette histoire mérite une intro quand même. On avait échangé quelques messages en mars, mais les circonstances avaient fait qu'on ne s'était jamais rencontrés tous les deux. Sans pied à terre à l'époque, je recherchais des expériences folles et marquantes et ce gars me semblait trop down-to-earth pour m'apporter ce genre d'aventures. Par un hasard, il m'a réécrit plusieurs mois plus tard et nous avons recommencé à parler et je l'ai trouvé plus intéressant cette fois. Peut-être est-ce plutôt moi qui avait changé de point de vue sur le dating ? Je lui ai alors proposé de se joindre à moi pour un concert Candlelight à Gelsenkirchen, à proximité d'où il habite. Mais immédiatement dans les minutes qui ont suivies, je me suis demandée... non mais dans quoi je viens de m'embarquer. Je pense que ma future date n'est pas très souvent sorti de chez lui et semble même ne pas savoir comment s'orienter en train dans les environs de sa propre ville. Fuck me, mais j'avais pas le choix maintenant. Pendant les semaines qui ont suivi, j'ai tenté de limiter le plus possible le smalltalk insoutenable provenant de ce gentil garçon trop bien intentionné qui voulait, ma foi, simplement faire poliment la conversation. Puis, on s'est reparlé quelques jours avant le concert pour confirmer que tout était alles gut

Me voilà à la gare principale de Essen, à la recherche de ma date, que je trouve à côté de la Sußlokomotive. Ma première impression : quel sourire, il est relax et très à l'aise, il a un beau style, une belle voix, des fossettes et il est largement plus mignon que ses photos. Il a un sac à bandoulière, un parapluie pour toute éventualité, un cellulaire dans un étui protecteur en tissu qui flip et une tuque doublée. Tout de l'allemand moyen qui ne prend pas de risque. C'est certain que ce gars est du genre à porter des protège-coudes en vélo et trois masques d'épaisseur en temps de pandémie. Ca m'est égal, je le trouve vraiment charmant. On se promène et on mange un peu au marché de Noël, qui est beaucoup plus féérique et musical que celui de Düsseldorf, soit dit en passant. 

Le show de ce soir se produit dans un zoo. Oui, oui, un zoo. Quelle place inusitée. On est arrivés une bonne heure avant le spectacle et on a pu partager une délicieuse Radler, entourés de plantes tropicales et de grosses bibittes inoffensives qui chillaient sur la clôture de bois à côté. Juste ça, c'était vraiment un bon moment, meublé par des conversations intéressantes sur nos vies qui sont, comme tout le monde aurait pu le prédire, diamétralement opposées. Ce soir, un quatuor à cordes de la France, de la Suisse et du Portugal interprètent les compositions les plus connues de Hans Zimmer. J'ai trouvé que cet endroit et l'ambiance étaient un gros hit pour une date et j'étais pas mal fière d'y avoir amené Christopher. Pendant le spectacle, je me serais bien couchée la tête sur son épaule parce que la musique était vraiment belle. J'accepterais volontiers une seconde date, mais il faudrait que celle-ci me sorte un peu de ma zone de confort, et non l'inverse. Et oui, avec du recul, je pense que c'est encore ça que je recherche dans le dating, du thrill. On verra bien.

La belle fontaine à l'entrée du zoo, remplie de chandelles, nous indique que nous sommes au bon endroit.

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