Jour 648 | Dégueuler dans les champs de canola

Übelkeit auf Canola-Feldern

Après une semaine de pluie, le weekend promet ! Il fera entre 25 et 28 degrés dans mon spot préféré de hiking à proximité, la Moselle. La nature m'a tellement manquée durant l'hiver. J'ai choisi deux randonnées totalisant 40 kilomètres. Le samedi, le Bergschluchtenpfad Ehrenburg, une boucle de 23 km à Brodenbach. Le dimanche, la 22e étape du sentier Moselsteig, une distance de 17 km entre Löf et Kobern-Gondorf. J'ai réservé une nuitée pas chère dans le village viticole de Winningen pour me permettre de profiter au maximum de ces deux journées de randonnées. Mais c'est plutôt mon estomac qui s'est montré pas mal expressif dans des champs de Canola...

La dernière photo de ma fin de semaine, pour immortaliser ma traversée d'un maudit champs de Canola qui m'a semblé durer une éternité. 

Après la Suisse saxonne et la Bavière, qui sont malheureusement trop loin pour en faire des day-trips ou des weekend-trips, je trouve mon compte en matière de randonnées dans la région de Rheinland-Pfalz. En plus de centaines de sentiers indépendants, le sentier Rheinsteig relie Bonn et Wiesbaden sur 320 km répartis en 21 étapes et le Moselsteig fait 365 km en 24 étapes entre Perl et Koblenz. Ce dernier, c'est mon préféré, parce que je trouve que les villages qui bordent la Moselle sont plus jolis que ceux qui longent le Rhin.

Après environ deux heures de train, j'arrive à Koblenz et j'attends le bus qui m'amènera à Brodenbach. J'ai souvent longé la Moselle en train sur son autre rive, mais de ce côté, il n'y a que le bus. Un gros bus voyageur de deux étages dans lequel je suis absolument seule. Je prend la place du haut, avec la grande fenêtre panoramique, juste au dessus du chauffeur. Que c'est beau, je suis trop bien. Mais je sais que je vais me sentir encore mieux quand je vais commencer à marcher. Le début de chaque randonnée m'apporte une belle sensation : mes jambes sont en pleine forme, je sens l'air frais, j'écoute de la musique pour la première fois de la journée, je suis confortable dans mes bottes, mes gourdes d'eau sont pleines. Surtout, je me sens toujours hyper reconnaissante d'avoir mes deux jambes et d'être capable de marcher autant avec. Je suis chanceuse que la randonnée en nature soit mon activité favorite et que ça ne coûte rien du tout. Même les déplacements en dehors de ma ville ne coûtent rien ici, c'est tout compris dans mon ticket à 49 €, valide dans tout le pays.

Un mignon petit Bobby Car enchaîné sur la clôture comme on attache un vélo pour ne pas se le faire voler.

La couleur de la Moselle au printemps, on dirait un gros bain de bouette.

Premier point de vue de la Moselle à partir du belvédère de Teufelslay.

J'ai pris mon lunch au 6e km dans le village de Nörtershausen, à côté de la St. Antonius Kapelle. Est-ce que je me serais rendue volontairement dans ce village de 199 habitants autrement qu'en croisant ce chemin par hasard en plein milieu d'une randonnée ? Probablement pas. J'ai même allumé un lampion dans la petite chapelle qui faisait 4 m carré de superficie maximum, en me disant que papa devait bien se demander qu'est-ce que je faisais dans un coin aussi perdu. Je l'aurai vraiment découvert sous toutes ses coutures mon pays. Au 11e kilomètre, ma gourde était vide et je l'ai remplie dans les petites chutes de Donnerloch, juste avant de bifurquer dans la très belle cours d'une maison à colombage avec un moulin à eau en activité, des poules et des ruches. Je répète, j'ai rempli ma gourde, sans filtre, dans des chutes en nature. Fait important pour le reste de l'histoire... 

St. Antonius Kapelle, à Nörtershausen, là où j'ai mangé mes raisins sur la table de pique-nique construite autour de cet arbre.

La chapelle était bien trop cute pour ne pas y allumer un lampion pour papa.

La maison du Grüne Muhle.

Au 13e km, le sentier passe littéralement dans la cours des ruines d'Ehrenburg, un château mentionné pour la première fois dans l'histoire en 1161. J'ai essayé de comprendre son passé, mais il y avait trop de petites querelles entre chevaliers, sirs, barons et bourgeois. En ce moment, il est opéré et préservé par un organisme sans but lucratif. Qui veut visiter le château doit payer la Brückenzoll (taxe du pont) de 4 €. C'est une façon originale de demander un prix d'entrée afin que les gens ne soient pas fâchés de payer. Contribuer à la taxe du pont levis joue davantage dans l'imaginaire que de payer pour un simple prix d'entrée. 

J'ai traversé le pont avec un autre groupe de gens qui avaient des valises et j'ai réalisé que les ruines sont en fait aussi un hôtel. Les gens peuvent vivre la full expérience de l'époque. J'ai pu visiter chaque racoin, observer avec curiosité les outils dans l'atelier du forgeron, arpenter le corridor de tir à l'arc et apprendre comment un trébuchet fonctionne. Au sommet de la tour, j'étais toute seule avec un bon vent, assise sur ces pierres vieilles de plus de 800 ans. Pis je me trouvais chanceuse, encore une fois, de visiter un lieu authentique pas tant connu par le gros tourisme de masse. Puis, je quitte, pour les quelques kilomètres qu'il me reste. 

Ma journée se termine au même point de départ. Je m'en vais à Koblenz en bus, puis à Winningen en train. Il me reste encore 2 km à pied pour rejoindre mon hôtel. J'ai quand même hâte d'arriver dans ma petite chambre pour préparer ma journée du lendemain. 

L'entrée des ruines d'Ehrenburg.

Une tite porte d'époque.

Au cœur des ruines, après avoir monté une longue pente circulaire que devaient emprunter les calèches autrefois.

La légende dit que les amoureux qui se jurent ici fidélité par un baiser formeront un couple pour toujours. Pour info, moi j'ai pas frenché personne devant cette arche.

Selfie du haut de la tour des ruines d'Ehrenburg.

Jolis détails dans l'une des fenêtre de la tour.

L'éclairage un peu creepy au cœur du château. 

Le lendemain matin, je me réveille dans ma petite chambre ordinaire mais confortable à Winningen et je vais prendre le déjeuner compris dans le buffet. J'ai déjà vu mieux comme déjeuner. Les petits croissants sont pas frais, les viandes froides sont pas trop goûteuses, le jus d'orange est impossible à brasser parce qu'il est dans un genre de pichet ouvert, donc il goûte acide. Et mon bol de céréale a un goût étrange, je soupçonne que c'est le lait. Attention, le goût de ce lait, ça aussi c'est important pour le reste de l'histoire...

Je prends le train et je débarque à Löf. Je ne croise personne. Est-ce parce que c'est tôt le matin ou juste parce que personne n'habite à Löf ? Probablement un mélange des deux. Néanmoins, c'est trop beau comme village, particulièrement la Pfarrkirche St. Luzia, dont les cloches se sont mises à sonner juste au moment où je suis entrée sur le terrain du petit cimetière l'entourant. De l'autre côté de la rive, j'aperçois le Burg Thurant, il prend toute la place au sommet d'une colline qui surplombe le village de Alken. C'est là que je m'en vais. Ça va faire deux châteaux en deux jours sans l'avoir prévu. Pas mal ! 

Pour 6 €, j'ai eu accès à la cours intérieure qui était joliment aménagée. Il y avait une petite terrasse où étaient servis des breuvages. Tu parles d'une belle place pour se donner rendez-vous. Je comprends pas pourquoi jamais une date ne m'a invitée dans un château pour prendre un drink, mais que je suis allée 100 fois chez Ürige. J'ai même croisé des gens costumés qui s'agençaient au décor. J'ai chillé environ une heure à cet endroit, assise sur un banc en fer au pied d'un donjon de 800 ans. Je me suis dit que maman aurait aimé cet endroit. On va y retourner, c'est proche de chez moi. Je rassemble plein de places secrètes depuis deux ans pour pouvoir les montrer à maman. 

La Pfarrkirche St. Luzia.

L'entrée du Burg Thurant du côté de Trèves.

Promenade dans la cours intérieure.

La belle cours intérieure aménagée.

L'ensemble est divisé en deux, par le mur sur cette photo. D'un côté, le châtelet et le donjon de Cologne. De l'autre, le châtelet et le donjon de Trèves (photo). De ce que j'ai compris, c'était deux administrations et deux biens distincts.

Moi, au sommet du donjon de Cologne.

Le châtelet de Trèves.

Le donjon de Cologne, et le mur qui divisait autrefois les deux entités.

Le donjon de Trèves, vue des jardins.

Après la visite du Burg Thurant, il fallait bien que je continue mon chemin. J'avais marché seulement 2 km à date sur les 17 km prévus. J'ai redescendu la colline, traversé la cours et le cimetière de la belle église St. Michael et mon chemin s'est poursuivi de l'autre côté, après un long kilomètre de montée en pente raide dans des vignobles secs et sous un soleil direct. J'ai croisé la Wallfahrtskirche Bleidenberg à Oberfell, une église massive vraiment impressionnante avec un clocher à moitié détruit. L'intérieur est en pierre et en bois et ça faisait du bien d'être un peu à l'abri du soleil pour un instant. Par contre, je me sentais pas si bien, c'est probablement ça, le soleil.

J'aime vraiment que les sentiers officiels ici me font traverser toute sorte de chemins variés, et pas seulement de la forêt. 

Pause à Oberfell avec mon meilleur achat de l'année : mes bottes Lowa et mes bas de Merinowolle.

Le Burg Thurant, vu de la colline Bleidenberg, juste en face. Comme c'est impressionnant. 

L'intérieur assez spécial de la Wallfahrtskirche Bleidenberg, construite en 1248. 

Quand tu baisses les yeux vers la Moselle et que tu penses à quelque chose de cher, brièvement, en silence, comme dans une prière, un souhait sera exaucé.

Des découvertes archéologiques démontrent qu'il y a 800 000 ans sur la colline Bleidenberg cohabitaient l'Homo Erectus et des éléphants de forêt. En l'honneur de cette découverte fût érigé un énorme éléphant d'acier de 6 mètres de haut.

L'éléphant de forêt a été la dernière photo prise dans cette belle randonnée qui s'annonçait pourtant parfaite. Dans une vaste prairie au milieu de nulle part, après la moitié du chemin parcouru, j'ai commencé à me sentir drôlement mal. Je me suis étendue sur un petit banc de bois au milieu des canola, en me disant que ça allait passer. Mais non, mes nausées étaient de plus en plus présentes. Au moins, j'avais encore mes jambes, qui sont parvenues à me traîner sur deux autres kilomètres, mais j'avais tout le haut du corps complètement troublé. Et c'est au milieu du sentier, entourée de ces belles fleurs jaunes, que j'ai tout vomi ! Mes céréales, les p'tites Johannisbeeren, un Babybel du matin, les carottes mangées plus tôt, des tomates cerises presqu'entières. Tout. Mais qu'est-ce qui m'arrive. Je ne suis jamais malade. Le lait du matin ? L'eau du ruisseau ? Sais pas ! Mais je me dis que ça va mieux aller à partir de maintenant. 

Non. Ça va pas mieux. Il me reste 9 kilomètres à parcourir. Il n'y a pas de chemin plus court pour atteindre un village plus près. Il fait 30 degrés, j'ai vomi trois fois, mais je marche toujours. Qu'est-ce que je peux faire d'autre. Je ne l'ai pas dit à maman tout de suite, parce qu'elle allait capoter, mais j'ai texté Maïté. Elle est au courant, ça me rassure. Mon sentier arrive finalement à la croisée d'une route asphaltée, j'ai envie de faire du pouce. Mais il n'y a pas de voiture. J'ai pas envie de vomir dans la voiture d'un bon samaritain non plus. Je suis assise dans l'herbe sur le bord du chemin et je dois avoir la face pâle comme le fantôme Casper. Un petit chien gentil et doux est venu s'assoir sur mes cuisses. Ses maîtres m'envoient la main au loin. Le couple arrive tout près et passe son chemin. Ils ne sont pas très jasant, heureusement. Mais le petit chien, il reste avec moi lui. Il ne bouge pas. Lorsque ses propriétaires n'étaient plus visibles, il est parti les rejoindre. 

Je continue sur la route et j'arrive à Niederfell. Le bus passe dans 30 minutes, c'est ben trop long. Est-ce que j'ai envie de me taper 2,5 km de plus pour me rendre à Kobern-Gondorf ? J'ai utilisé toute mon énergie et j'ai couru, parce que Google Maps me disait que j'allais arriver dans 16 minutes, mais le train arrivait dans 14 minutes. J'ai traversé la Moselle par un pont, et je me suis effondrée dans un parterre aménagé à une intersection très passante, pour dégueuler encore et encore. Salutations de la part du contenu de mon estomac, à toutes les voitures qui sont passées à côté de moi pendant ces quelques minutes ! Mais là, mon train va arriver et je perd du temps. Il est hors de question que je le manque. Je continue de courir. Je suis toute sale, pleine de terre, j'espère que c'est de la terre. Je grimpe les marches pour atteindre la plateforme et mon visage grisâtre a un eye-contact avec le chauffeur de mon train qui est déjà arrivé. J'espère que mon regard crie HILFE ! Réussi, je suis dans le train. 

Je débarque à Koblenz. J'ai juste envie d'être chez moi, mais il me reste encore 2h de train pour me rendre à Düsseldorf. Mon train arrivera dans 45 minutes. Je vais aux toilettes. J'ai chaud, j'ai froid, je me déplace dans la gare avec le peu d'énergie que j'ai. Le Rail n' Fresh m'a sauvé la vie. Pour 1 €, j'ai passé 40 minutes assise au sol à côté de ma toilette, tranquille, à vomir quand je voulais. Je m'en fou que les gens attendent, je m'en fou d'être assise par terre, c'est dégueulasse, j'ai la face dans le bol anyway. Je suis sortie pour remplir ma bouteille d'eau. Mais c'est pas ça le problème, je n'ai jamais manqué d'eau. J'ai même pas soif. Une gentille fille remarque mon état pendant que je m'éponge la face et le cou d'un papier essuie-main imbibé d'eau froide qui devient instantanément chaud au contact de ma peau. Elle m'offre d'aller m'acheter une limonade au kiosque. Je n'ai besoin de rien, je veux juste rentrer chez moi.

Mon train est bondé, j'ai une place assise au deuxième étage. J'ai 8 % de batterie sur mon cell et j'ai même pas la force d'ouvrir mon sac à dos pour sortir ma powerbank, même si je sais exactement où elle est dans mon sac. J'ai un œil permanent sur la porte des toilettes, et sur toute option possible pour dégueuler si l'envie urgente me prenait. La meilleure option, c'est le sac de McDo en papier de la madame à côté de moi qui vient de finir son BigMac. J'ai fait des allers-retours aux toilettes au moins douze fois. Je ne vomis plus rien. Je n'ai plus rien dans le corps. J'ai une pensée pour le Reinigungskraft de DB en ce moment, qui nettoieront les murs et le plancher de cette toilette que j'ai complètement saccagée.

J'arrive à Düsseldorf. Mon tram vient de passer, je n'attendrai pas 15 minutes certain. Les 3 % de batterie de mon cell représentent à peu près mon niveau d'énergie. Suffisant pour déverrouiller une trottinette, maintenir mon équilibre sur cette machine sur 2 km, me parker direct devant la porte du garage chez nous, et rentrer. Enfin. Chez moi. Tout le monde est content. Moi la première. Est-ce que ce serait plus prudent de ne pas faire des randonnées seule ? Je ne pense pas. Si j'avais été accompagnée, je n'aurais pas eu tant de force pour traverser 9 km de randonnée et 3 heures de train dans cet état. Je me serais juste plaint tout le long et je pense que ça aurait été ben pire. Mais là, je n'avais pas d'autre choix, j'étais responsable de ma propre personne. J'ai juste fait du mieux que je pouvais, toute seule, comme une grande, loin de chez moi. Après cette mésaventure, mon vocabulaire s'est enrichi du mot Lebensmittelvergiftung. Et je ne l'oublierai jamais. 

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