Kuhangriff
Je suis dans un resto italien à Mittenwald, mon 2e relais. Le serveur vient de m'offrir un quart de litre de vin blanc gratuit parce que c'est la fin de la journée et qu'il a remarqué que « j'écrivais un livre ». Ça pardonne pour les pâtes qui goûtent rien et qui baignent dans l'eau de cuisson. Ce matin, 8h15, j'étais dans le sentier après avoir salué Bernadette. Je craignais un peu cette section. D'abord, une montée de 500 m de dénivelé autour de Soiernspitze, puis une descente de 1 200 m de dénivelé négatif, le tout sur 23 km. Finalement, la seule chose que j'aurais du craindre plus que tout le reste, c'est un face à face avec des vaches dans un nuage à 1 900 m d'altitude.
Alors que je grimpe la montagne en face de ma hutte, le temps est clair. Je la vois au loin, si minuscule dans la forêt. J'en reviens pas que j'ai passé la nuit à cet endroit. Les quelques nuages dans le creux des montagnes se déplacent assez vite pour que j'aie le temps d'avoir une vue superbe sur les deux lacs, dont celui dans lequel j'ai pris un débarque hier. Une chute qui m'est d'ailleurs rappelée à chaque pas qui me fait mal au derrière.
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Visibilité réduite au milieu d'un troupeau de vaches.
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Dans la montée, j'ai croisé des dizaines de petits lézards noirs sur les roches. J'avais jamais vu de tels petits reptiles et en si grande quantité. |
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Les deux lacs de montagne Soiernseen (1 558 m d'altitude).
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Traverser un petit fil blanc comme ça, c'est signe que tu entres dans le terrain des vaches.
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Arrivée au sommet Jägersruh (1894 m), je dois redescendre de l'autre côté de la crête. Cependant, l'autre côté est dans un brouillard total. Je ne vois rien. Je ne sais pas du tout où je m'en vais. J'entreprends la descente dans ce sentier qui zig-zague vers je-ne-sais-où. La visibilité est réduite à environ une dizaine de mètres. Alors que je suis concentrée sur où je déposerai mon pied dans ce sentier plein de bouse de vache, je tombe face à face avec l'une d'elle qui me fixe. Une imposante vache noire. Elle et une autre vache se tiennent dans mon sentier. Jusque là, ça va, je bifurque et fait un détour. En ce terrain inconnu, mes sens deviennent alerte et je remarque que je perçois les sons des cloches de dizaines de vaches, mais je n'en distingue aucune. Le son vient de partout autour. À la quantité de bouse que j'évite, ce ne sont pas les deux seules vaches qui se trouvent ici. J'en distingue finalement une bonne dizaine tout autour de mois, d'aussi loin que le nuage me le permette.
Je suis au milieu d'un troupeau, voilà. À gauche, à droite, devant, derrière. Je suis l'intruse et je me sens petite en maudit. Des vaches, c'est pas des petit lapins tout mignons que t'as envie de caresser. Et je l'ai réalisé quand l'une d'elle, qui portait aussi le piercing au septum comme moi, s'est mis à agiter ses 800 tonnes de graisse pour se lever et beugler dans ma direction. Un cri qui a percé le silence dans l'altitude. J'ai regardé 360 degrés autour de moi afin de savoir si ce maudit cri de la mort voulait dire « à l'attaque ! », avant de regarder encore en direction de la vache. Et elle s'est mise à courir vers moi ! Sabots en l'air pis toute. Pas un ti jogging. À l'échelle de vache ça devait être un maudit sprint à la Bruny Surin. C'est pas vrai que je vais décéder ici, piétinée par une vache, sans réseau, dans un nuage où personne ne me trouvera. J'ai cherché fort dans mes connaissances, à savoir si j'avais lu quelque part comment agir face à une vache agressive. Est-ce que je dois avoir un eye-contact ? Pas de eye-contact ? Lui tourner le dos ou lui faire face ? Ça me revient pas. J'ai décidé d'avoir l'air cool, faire comme si j'avais pas peur, et de passer derrière un buisson. Comme si le buisson allait me servir de bouclier contre 900 kg sur pattes... Ça aurait tellement été sad comme mort.
J'ai finalement quitté le terrain de jeu des vaches après l'avoir traversé en trombe sans regarder derrière. Je ne voyais pas du tout la fin du sentier en raison du nuage dans lequel j'étais, donc pas moyen de prendre de raccourci. Le soulagement, quand j'ai traversé de nouveau la petite corde blanche qui délimite leur terrain. De l'autre côté, pas de bouse à chaque mètre carré. Et voilà qu'un troupeau d'une douzaine de petites chèvres sauvages rousses passent à toute vitesse devant moi. Mais qu'est-ce que j'ai fait au karma pour que la faune s'acharne sur moi aujourd'hui. Pis l'orage éclate. C'est donc pas juste la faune qui m'en veut mais la nature au complet. Après quelques kilomètres, mes bottes se sont dit qu'il y a ben des maudites limites à être waterproof et ont abandonné totalement cette fonction. Elles étaient tellement lourdes à la quantité d'eau qu'il y avait dedans. J'étais complètement trempée, un peu perdue, pas de vision, pas de réseau depuis 7 km, totalement seule dans le froid. On dirait qu'une situation telle te ramène à la base, à l'instinct et à la débrouillardise. Ça servirait à quoi de chialer contre l'inconfort de mes bottes mouillées ? C'est tellement vivant d'être ici.
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Moi, bien en vie, sous à pluie et à l'abri des dangers bovins. |
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La vue impossible à distinguer de l'autre côté de la crête à partir du Jägersruh. Je ne saurai jamais de quoi ça l'air.
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Des chutes sur le sentier. |
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À l'approche de Vereiner Alm. |
J'ai atteint au tier du sentier la hutte Vereiner Alm (1400 m), où j'ai pu tordre mes bas et mes semelles, tout en jasant avec un couple de Cologne. Il faisait clair à ce moment, les nuages étaient partis et le soleil était de retour. Pour les 14 km suivants, j'ai eu du beau temps et retrouvé le réseau à l'approche de Mittenwald. Combien de fois je me suis demandée où m'amenait le Spitzenwanderweg en me faisant prendre toutes sortes de détour qui n'étaient pas du tout sur le chemin de Mittenwald. Et à chaque fois, c'est qu'on m'offrait une vue sur les montagnes, de vastes prairies ou des lacs turquoises. C'est beau la Bavière. Ce soir, je dors dans une Gästehaus. Plein confort, un lit à moi et une douche. Mon hôte ressemblait à un Grand-Papa Noël allemand et il avait l'air d'avoir une belle retraite, à s'occuper de ses invités dans sa vieille maison. Le luxe avant de reprendre le chemin rustique vers Schachenhaus. Demain, ce sera une montée de 1200 m sur 16 km environ.
En passant, j'ai lu au sujet des attaques de vaches. Des vaches dans les pâturages, ça peut vraiment attaquer si elles se sentent menacées. Une dame de 40 ans est décédée à Salzburg en Autriche et ses deux jeunes filles ont été blessées à la fin du moins de juin. Quelques jours avant ma randonnée, deux adultes et un enfant de 4 ans ont été attaqués lors d'une randonnée sur un sentier bien connu, le Juwelenweg, en montant vers le sommet Breitenberg, et deux randonneurs avec un chien ont été poursuivis par deux vaches des les montagnes de l'Allgäu. Donc, mon instinct de petite humaine en situation de vulnérabilité avait vu juste :
- Être calme et me pas effrayer les animaux
- Ne jamais tourner le dos à la vache
- Quitter la zone de pâturage, sans se précipiter
- Contourner la vache d'environ 10-20 m
D'un autre côté, si j'avais lu à propos de la possibilité que les vaches d'alpage soient dangereuses, j'aurais vraiment eu trop peur de faire cette randonnée.
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Des vaches plus tranquilles sur le terrain de Vereiner Alm. |
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Sentier entre le Schmalensee et Mittenwald, sur fond de montagnes. |
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Un paysage typiquement bavarois duquel je ne me lasserai jamais. |
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Ma destination, enfin ! |
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Mittenwald, au soleil et tout en couleurs. |
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Je me demande combien de fois par année des touristes tombent dans ces petits canaux en pleine ville.
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