Jour 775 | Stairway to Heaven

Die Himmelsleiter

C'est aujourd'hui que ça se passe ! Ma logistique fonctionne. Je quitte la gare de Salzburg à 7h20 par train. Je change pour un bus à Golling-Abtenau en trois minutes. Pas de retard, on est pas en Allemagne quand même. Le réseau de transport en commun de l'Autriche a tant confiance au respect de ses horaires qu'ils proposent même des correspondances de moins d'une minute. Jusqu'à maintenant, tout a fonctionné. J'arrive à Gosau après une heure de bus. J'ai 13 minutes pour louer mon équipement au magasin de sport, Jirka, et prendre le prochain bus vers Gosausee. J'ai loué l'équipement pour deux jours, à 24 € par jour. Un harnais, un casque et deux mousquetons bien solides qui vont carrément assurer ma vie. J'arrive au Gasthof Gosausee, là où je réside pour les trois prochains jours. Il est 9h15, je ne pensais pas arriver aussi tôt. Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que je m'enligne direct pour la fameuse via ferrata à laquelle je rêve depuis des mois. 

Comme il est trop tôt pour accéder à ma chambre, je laisse une partie de mes possessions dans un coin de l'établissement. De même, ben à vue. Je n'ai rien de valeur de toute façon à part mon rouge à lèvres par Kylie Jenner dont j'aurai pas vraiment besoin dans les prochaines heures, on s'entend. Je me recouvre chaque pouce de peau de crème solaire, tellement que j'en ai jusque dans le nez. Dans quoi je m'embarque là, voyons voir. 

L'échelle Stairway to Heaven.

En route vers l'aventure.

Avec tout mon gear bien ajusté, je prend le téléphérique à 23 € pour arriver à la hauteur de Gablonzer Hütte. On me mentionne que le dernier retour est à 18 heures. Ok, j'ai le temps en masse. Là, j'ai vu l'échelle au dessus du vide qui relie le Kleiner Donnerkogel au Großer Donnerkogel. Elle est loin, mais je vois des gens gros comme des mouches la traverser. Je serai dessus moi aussi, dans quelques heures. Tous les passagers du téléphérique sont impressionnés et connaissent cette célèbre échelle. Bien évident qu'avec tout mon équipement, on m'a demandé si j'y allais. Et j'étais fière de dire : Oui ! 

Par ici, quelques vidéos parmi mes préférés que j'ai regardé en boucle en rêvant d'y être. 

Au début de la voie, on s'accroche au câble pour ne jamais le lâcher pour le prochain kilomètre. Oui, étonnamment, la via ferrata ne fait qu'un kilomètre et 470 m de dénivelé. Je confirme que c'est déjà bien assez ! Ceci représente, selon ce qui est indiqué, entre 3h et 4h d'escalade en continu. Deux hommes originaires de Munich qui patientaient à l'ombre m'informent que pas moins de 50 personnes attendent en plein soleil parce qu'il y a un bouchon dans une première section particulièrement difficile. J'avais vu cette file en arrivant. Ce sera pas plaisant si on est collés comme des sardines... Je décide d'attendre avec eux, c'est déjà pas mal mieux qu'au soleil. J'ai une petite inquiétude à ce moment, vais-je pouvoir faire le sentier aujourd'hui ? Il annonce quand même de la pluie à 17h et je n'ai pas envie de me retrouver en plein orage au dessus de la ligne des arbres sur un sommet dénudé. Environ 20 minutes après, c'est bon, on a le champs libre. Le bouchon est passé. 

Mes deux mousquetons, dont au moins un doit toujours être fixé au câble d'acier lorsqu'on traverse une fixation. Lorsqu'ils sont attachés, ils doivent l'être dans le sens inverse l'un de l'autre.

Une section bien verticale.

Déjà en partant, cette escalade n'a rien à voir avec celle que j'ai faite en Suisse, entre Mürren et Gimmelwald, qui était en pente descendante. Ici, c'est vraiment de la pure escalade, avec très peu de tiges de métal fixées dans les rochers pour faciliter la montée. Ça prend des maudites bonnes chaussures (je remercie mes infaillibles Lowa), un pied sûr et quelques tentatives pour trouver un petit coin de roche qui permet de poser le bout de ses orteils. Les différentes sections des via ferrata sont cotées sur une échelle de difficulté de A à G. Dans celle-ci, les sections varient entre A et D, pour une difficulté moyenne notée C/D. 

  • A : léger, 
  • B : modéré
  • C : difficile
  • D : très difficile
  • E : extrêmement difficile
  • F : je veux même pas le savoir
  • G : j'vois pas le plaisir sérieux
La coupe du sentier, où les difficultés de chaque section sont notées.

Ok, c'est vraiment difficile. J'ai de la misère J'ai les jambes bien entraînées, mais pour les bras, on va repasser. Je tremble de faiblesse, je n'ai jamais entrepris un défi sportif aussi intense dans ma vie. Mais quand j'y pense... jamais je vais me plaindre ! Je suis en plein soleil sans aucun spot d'ombre, il fait 32 degrés, j'ai la respiration haletante et le cœur qui me bat jusque dans la tête et au bout de mes doigts. En ce moment, toutes mes cellules, mes sens et mes membres sont sollicités. Je ne changerais pas de place avec quiconque présentement. C'est tellement intense ce que je vis. 

Outre les deux mousquetons qui m'empêchent de faire une chute de centaines de mètres, je remercie mon casque qui m'a épargné pas mal de coups sur des parois acérées, et mes gants, sans lesquels j'aurais définitivement pu de peau. J'ai remarqué que mon genou est blessé. Depuis combien de temps, je sais pas, mais ça a saigné dans la sueur sur ma jambe depuis un bout. Tellement que je me suis demandée moi-même si j'avais été attaquée par un ours et quand.

Une vue spectaculaire sur l'autre côté de la montagne, alors que je viens d'atteindre une crête.

Voici où placer les pieds. 

Moi avec mon ti casque, lors de mon premier repos environ au tier de la montée.

À l'approche de l'échelle, les grimpeurs commencent à se rapprocher les uns des autres et chacun attend son tour. Je fais la rencontre d'un couple de la Tchéquie, d'une famille de la Tchéquie et un duo mère-fils de la France. On se suit tous. Il y a environ une heure d'attente à flanc de montagne. Une heure avec le bout de ma chaussure dans un petite fissure et l'autre pied dans le vide. Pas possible d'avoir une position confortable ici naturellement. Certaines personnes prennent peur à l'approche de l'échelle et décident de la traverser seul, ce qui ralentit considérablement le groupe. Normalement, quatre personnes à la fois peuvent se trouver dessus. Le père de famille derrière moi, qui s'avère être un pas pire trou de cul, crie aux gens de se dépêcher. Écoutez monsieur, c'est pas tout le monde qui réagit de la même façon face à quelque chose d'aussi intense. Bien que les difficultés de la trail soient connues, parfois, tu ne peux juste pas prédire ta réaction on the spot. Un autre randonneur s'est permis de le remettre à sa place. Bien fait.

C'est bientôt mon tour. Pour toutes les fois où j'ai regardé ces vidéos sur Instagram, présentement c'est moi qui a les deux pieds dessus et qui est en train de fixer un mousqueton à gauche et un autre à droite. C'est parti, il n'y a pas de reculons. Je suis tellement concentrée à sécuriser mes pieds, un barreau après l'autre, que je sais même pas ce que je vis en ce moment. Ça a tellement passé vite. 
  • Mais j'ai eu le temps de constater que l'espace entre les barreaux est amplement suffisant pour que mon corps chute à travers en cas de faux pas. 
  • J'ai eu le temps de regarder derrière et de voir le majestueux et pointu Kleiner Donnerkogel que je viens de gravir avec succès. 
  • J'ai le temps de voir (et surtout craindre) le mur vertical d'environ 30 m coté C/D qui m'attend après la traversée. 
  • J'ai le temps d'admirer le lac Gosausee à gauche et un village plein de maisons minuscules à droite. 
  • Et sous mes pieds se trouve une crevasse impressionnante de 700 mètres. 
Le vent souffle tellement fort que l'échelle vacille d'un bord pis de l'autre, en plus des mouvements des trois autres personnes dessus en même temps que moi. Je suis là ! Moi ça ! J'en reviens pas. J'ai même pas eu le temps de me faire des scénarios d'horreur où l'échelle cassait en plein milieu. Ma tête est tellement occupée dans le réel qu'il n'y a pas de place pour l'imaginaire. C'est un magnifique sentiment de présence absolue. 

Je suis remplie de fierté. Tsé quand ce feeling te prends dans les trippes, monte jusque dans la gorge et explose tellement c'est impossible de le contenir en dedans. Ben c'était moi ça, sur l'échelle Stairway to Heaven, le sourire fendu jusqu'aux oreilles, à m'exclamer de joie. Je sais pas si c'était un rire, car il n'y avait rien de comique, mais je pense que c'était juste un trop-plein de satisfaction. Il est difficile de trouver les mots pour l'intensité du feeling tout le long de cette traversée au dessus du vide. 

Vue du lac Gosausee à partir de l'échelle.

Alors qu'on s'approche de l'échelle, on a bien le temps de constater la folie qui s'en vient dans quelques mètres.

À mon tour.

Maintenant, je fais face à la section décrite comme la plus difficile du parcours. L'instant où on se détache de l'échelle pour se rattacher au prochain câble d'acier n'était pas très intuitif. J'ai du étudier un peu la patente afin de savoir quel pied poser en premier et où exactement. Parfait, maintenant je suis collée sur le rocher comme une petite araignée. Je vois bien que ce mur vertical que je dois escalader n'est pas seulement vertical, mais parfois négativement incliné. Ça va nécessiter du jus de bras ça ! Et à ce moment précis, alors que la peur me prend, j'ai un doigt qui s'est paralysé en position fermée, de sorte que ma main droite ne pouvait se défaire du câble qu'à l'aide de mon autre main. On aurait dit qu'il y avait trop de stimuli autour de moi et pas assez de neurones pour faire fonctionner ce vilain doigt. C'était trop bizarre, et surtout un moment très mal choisi pour perdre 1/10 de ma dextérité. Mon doigt est finalement redevenu fonctionnel après quelques mètres. Et moi, j'ai réussi la section sans trop de misère. Je devais être dans un état second parce que j'ai pas vu ça passer.

Le bonheur.

Aussitôt la croix au sommet du Großer Donnerkogel aperçue (2 054 m), aussitôt la descente entreprise. J'ai remarqué un gros nuage noir au loin et j'ai commencé à stresser sur le risque de manquer le dernier téléphérique. Il me faut redescendre tout ce que je viens de grimper, mais en contournant la montagne. Le tonnerre était de plus en plus fort et j'avais l'impression de me sauver d'un gros monstre bruyant et fâché. J'ai vite déguerpi et j'avais plus les idées claires. Les roches roulaient sous mes pieds, mes genoux ont flanché à quelques reprises, je me suis trompée de chemin. Baaaah, c'était long à l'infini cette descente et elle n'a pris que 1h30 pourtant. J'ai finalement réussi à attraper l'avant-dernier téléphérique à 17h30. Ça fait donc huit heures exactement que je suis dans cette montagne. J'en ai mis du temps ! J'ai trouvé cette randonnée beaucoup plus difficile que ce que laissaient savoir les commentaires que j'ai lus avant de venir ici. Mais c'est fait, j'ai réussi !

La croix au sommet du Großer Donnerkogel à 2 054 m. 

La descente propose une vue dégagée tout le long.

Je suis encore sous le choc d'avoir réussi ça. Toute seule. Heureusement que j'étais seule en fait. Car je pense que j'aurais passé mon temps à me plaindre, à dire que c'est trop dur, à dire qu'il fait trop chaud, à demander comment réussir tel ou tel passage. Mais là, je suis la seule responsable d'avoir entrepris cette aventure et la seule en mesure de me rendre jusqu'à la fin. Quand on est seul, on est bien plus débrouillard. Qu'est-ce que j'aurais fait si quelque chose m'était arrivé ? D'abord, il y avait beaucoup d'autres personnes sur le sentier et beaucoup d'options pour quitter le chemin d'escalade et prendre un chemin de retour normal. Mais avant tout, en situation d'urgence, on fait seulement du mieux qu'on peut. J'aurais trouvé une solution ou la force requise pour me sortir du pétrin. Et si je tombais pour avoir mal fixé mes mousquetons, ben j'aurais pas eu beaucoup de questions à me poser parce que j'aurais rapidement été un p'tit tas inanimé écrasé quelque part sur une roche en bas.

En arrivant à ma chambre, je tournais en rond dans ma pièce, toujours avec mon harnais et mes mousquetons sur moi. On aurait dit que j'ai tout fait ça sur la grosse adrénaline et que je n'étais pas encore remise de mes émotions. Je n'avais d'ailleurs personne à qui partager ces émotions fortes. Un(e) partenaire qui aurait réalisé la randonnée avec moi par exemple. J'aurais un tas de choses à dire. Et maintenant que je reviens sur Terre, je découvre que je suis littéralement couverte de bleus sur les bras et les jambes. J'ai une marque énorme sur mon bras causée par un pincement très douloureux dans un câble d'acier qui va passer par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel avant de disparaître dans quelques semaines. Cette journée fut définitivement l'une des plus marquantes de ma vie.

Là où je reste pour les trois prochains jours.

Mon beau bleu bien visible.

Commentaires

  1. Incroyable parcours Claudia !! Bravo, merci pour les magnifiques photos et bonne continuation!!

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