Jour 803 | Adieu, la notion de temps

Adieu, Zeitbegriff

Je prends le bus vers Sommarøy, un charmant village de pêcheurs situé tout à l'Ouest du comté de Troms. Je ne comprends pas les horaires de bus ici. Ils ne sont pas faits pour le tourisme certain. Quatre bus partaient de Tromsø le matin entre 5h et 6h, ensuite plus rien avant le bus de 16h qui ne revient juste pas ici. J'avais donc pas le choix de rester sur place si je voulais voir Sommarøy. Le prochain bus qui reviendra (et le seul cette journée là) est à 14h. Tu parles d'une heure. Ça convient à qui ça au juste ? Pas les travailleurs, pas les écoliers, pas les touristes non plus. Ça me stress toujours un peu quand il n'y a pas tant d'options de transports en commun, il ne faudrait surtout pas que je le manque. Sinon, il y aurait toujours l'option de prendre un taxi à 8 millions de NOK. La route entre Tromsø Prostneset et Sommaroy Hillesøy Kryss était tellement belle. Le bus longeait toute la côte au sud de la grande île de Kvaløya. J'ai fait la ligne 420 du début jusqu'à la fin. Il y avait 134 arrêts entre les deux. Le tout pour 44 NOK (soit environ 5,65 $). Plus cheap que de louer une voiture, plus cheap que de prendre un taxi, plus cheap que tout ! Notons qu'un trajet d'une durée similaire (1h30 environ) sur l'autoroute hideuse entre Rimouski et Rivière-du-Loup coûte 41,05 $ avec Orléans Express. Très encourageant... de prendre sa propre voiture à la place.

Petites cabanes norvégiennes.

Le ciel était magnifique tout au long de la route.

Campagne sur fond de montagnes.

À cet endroit sur le globe, il y a le soleil de minuit en été, entre le 20 mai et le 22 juillet. En revanche, l'hiver, entre le 27 novembre et le 15 janvier, le soleil ne se lève jamais, c'est la nuit polaire. Pendant le soleil de minuit, un mélange de lever et de coucher de soleil peignent le ciel et la terre d'une lumière rouge et or. L'offre touristique est présente même la nuit pendant ces semaines. Jouer au golf, faire du kayak, pêcher, à minuit ou 3h du matin, c'est possible. Par contre, je pense que je ferais une p'tite dépression pendant la nuit polaire, ça pas l'air trop énergisant de ne pas voir le soleil pendant près de deux mois. Je visite la région ni pendant le soleil de minuit, ni pendant la nuit polaire. Par contre, je suis arrivée au tout début de la saison des aurores boréales et ce soir, les prévisions annoncent un ciel clair et des chances élevées d'en apercevoir.  

En 2019, les habitants de Sommarøy ont milité pour être les premiers au monde à vivre sur un territoire sans fuseau horaire. Ils demandent la fin du temps sur leur île, au moins en été, pour se libérer des heures d'ouverture traditionnelles des commerces et des institutions et introduire une flexibilité dans les horaires d'école et de travail. De nos jours, les gens oublient qu'ils peuvent être spontanés, décider de sortir quand le soleil brille et tout simplement... vivre sans la pression de la montre. Sans nécessairement vouloir laisser de côté leurs obligations, la majorité des 321 habitants de cette île qui ont donné leur accord à cette campagne ne réclament pas un arrêt du temps et des vacances continues, ce serait impossible, ils réclament seulement une flexibilité encore jamais vue. La nouvelle a fait le tour du monde et a également permis à l'île de devenir une destination prisée par ceux qui veulent échapper au temps, aller à contre-courant du brouhaha de notre société où tout est pensé pour être fait rapidement et pour gagner du temps. Est-ce qu'il est juste de dire gagner du temps, si c'est pour être tout le temps pressé ? On gagne quoi en gagnant du temps finalement ? 

Mon hôtel Sommarøy Arctic Hotel est le seul sur l'île et on dirait que le mec à l'accueil prend ça pour du cash. Il me donne ma carte sans me donner aucune information. Le Wifi ? L'heure du déjeuner ? Mon numéro de chambre ? Le repas du soir ? L'heure du checkout ? L'hôtel est vide et il me dit que je dois absolument réserver une table tout de suite pour une heure précise. Est-il dans le même village que moi ou quoi ? Celui-ci même qui voulait justement abolir le temps quelques années plus tôt ? Non je ne sais pas à quelle heure je vais manger ce soir, mais je vais manger la pomme dans mon sac à dos plutôt que son repas au lieu de me plier à son fonctionnement strict. Le gars a omis, bien sûr, de me mentionner que le sauna était brisé. Là, je suis vraiment déçue. Je voyage habituellement low budget et je ne paie pas 185 $ la nuit, mais là, on m'offrait la totale expérience scandinave : un sauna sec avec un accès direct à l'eau glacée des îles polaires. Quand j'ai demandé ce qui était prévu pour compenser, le dude en question m'a simplement dit : you can try something tomorrow with my boss. Non, ce n'est pas à moi d'essayer quelque chose, c'est à toi, qui travaille dans un établissement de cette qualité remarquable qui devrait avoir pensé à quelque chose. Je sais que c'est malheureux pour eux, en tant que business, mais c'est aussi malheureux pour moi, en tant que cliente, il faut le reconnaître. Bref, je ne m'en fais pas trop pour le moment, je n'aime pas laisser des événements extérieurs influer sur mon humeur intérieure. Je m'en vais marcher sur Hillesøya et monter au sommet de Nordkollen, un petit sommet de 190 m de dénivelé mais qui promet une vue sans pareille sur la ville. 

Vue à partir de la terrasse de l'hôtel.

L'accès à l'eau à partir du sauna défectueux, escaliers que je n'aurai donc jamais franchi.

La terrasse de l'hôtel sous la pluie.

Sur la colline, je suis seule. Parce qu'il pleut j'imagine, personne n'a entrepris de randonnée en pleine averse. J'ai le tour d'être seule dans des endroits magiques. La chance. Au sommet de Nordkollen, sur 360 % autour de moi, j'ai différentes vues. Je vois le village habité de Sommarøy, dont certaines îles avec des petites maisons ne sont même pas reliées par un pont. D'un autre côté, plein de petites îles entourées d'eau turquoise se multiplient devant la grande île de Senja. Mais ma vue préférée (et de loin!), c'était l'étendue d'eau à perte de vue. Un grand vide sur 1500 km. Si j'avais pu voir aussi loin à l'horizon, j'aurais vu la côte du Groenland. J'avais sous les yeux un océan bien foncé, sous des nuages épais qui cachaient le soleil et ne laissaient passer que quelques rayons. Je me suis assise le plus près possible des falaises rouges pour entendre les vagues les frapper tout en bas. Je n'aimerais pas me retrouver au milieu de cette eau sur un petit radeau de fortune. Mais regarder le vide d'ici, assise sur mon île, c'était comme regarder la peur de haut. Je n'ai pas peur du tout. Je suis restée là jusqu'à la noirceur. 

Moi sur Hillesøya.

Le grand vide.

Une très belle vue sur Sommarøy.

On ne le distingue pas très bien, mais le rocher pointu au loin, c'était mon préféré et j'adorais sa forme.

Regarder ça pendant de longues minutes, en silence, avec personne.

Au loin, la grande île de Senja.

Je descends par une autre trail pas trop balisée dans les falaises qui font face à l'île de Senja. Je vois pas trop où je place les pieds et j'ai seulement 18 % de batteries sur mon cell. Mes yeux s'habituent à la noirceur au même rythme que le soleil quitte. Arrivée au niveau de la mer, j'ai trouvé une plage, une vraie, avec du vrai sable et seulement le son des vagues. Aucun bruit, aucune lumière autre que celle reflétée par la lune. Je me suis assise exactement au centre de la baie, ôté mes bottes et trempé mes orteils, c'était freeeeeette. Ce soir là, après une bonne douche chaude, j'ai pris une marche en pleine nuit sans voir d'aurores boréales. Et une fois de retour dans mon lit en bobettes, elles sont apparues à la fenêtre ! Merci merci, quelle journée remplie de belles choses ! 

Plage privée. 

Premières aurores boréales en Norvège, aperçus de ma fenêtre de chambre.

De belles lueurs vertes.

Au départ, j'ai finalement négocié un remboursement avec le propriétaire condescendant qui n'a jamais reconnu que c'était désolant de ne pas avoir eu accès au sauna comme prévu. L'empathie, c'est pas donné à tous. Il voulait m'offrir un pepsi et une barre de chocolat pour me dédommager. Son sauna, qu'il met de l'avant avec autant de marketing ne vaudrait qu'un pepsi et une p'tite barre Melkerull ? Je lui ai dit qu'il allait devoir trouver une autre solution car je n'acceptais pas cette offre. Il s'est obstiné et m'a finalement donné 250 NOK (l'équivalent de 30 $) et deux barres de chocolat pour que je ferme ma gueule et quitte. C'est ok, nous avons bien négocié. Je vais m'abstenir de laisser un mauvais commentaire sur son établissement, mais je n'en laisserai pas un positif. Si on n'avait pas invalidé ma déception, si on m'avait remerciée pour mon séjour et si on ne m'avait pas garoché mes billets de banque en pleine face en partant, j'aurais pu laisser un bon commentaire. Je suis partie un peu amère, mais ça va passer. J'aime pas ça les chicanes, mais parfois, se défendre, c'est important aussi. Il faut que ça en vaille la peine. Perdre mon argent, je m'en remettrai. Gâcher un moment, non.

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